Projet métropolitain
Projet
Echos à la synthèse de la semaine de la fabrique métropolitaine
La simple transposition d’un modèle suivi sur un territoire donné sur un autre territoire n’est effectivement qu’une chimère.
Admettre cela, c’est logiquement admettre également que le recours à un modèle ne saurait représenter un quelconque danger pour l’identité de la métropole bordelaise : toute transposition semble condamnée à n’être qu’imparfaite tant l’identité est une notion complexe mêlant divers facteurs comme les caractéristiques géographiques qui permettent de recontextualiser une greffe. Cette fatalité explique probablement que l’urbanisme royal des Intendants, très largement importé en vue de faire de Bordeaux la plus belle ville du Royaume, ne s’est pas traduit par un renoncement à une spécificité bordelaise notamment apportée par le grand paysage. D’ailleurs, qui oserait aujourd’hui contester le caractère heureux de l’implantation de ce « modèle » royal qui fait la fierté de tous les Bordelais qui s’exprime au fil des divers rapports, comptes-rendus, et autres communications des institutions bordelaises ? Cette crainte, voire cette angoisse à l’idée de prendre modèle pour y préférer un développement « urbanistiquement » autocentré n’est pas sans rappeler les invectives de Montesquieu contre l’urbanisme royal importé par les Intendants qu’il opposait à l’urbanisme bordelais hérité de siècles d’Histoire. Il est paradoxal de refuser radicalement tout modèle pour protéger, valoriser un bâti qui, pour partie du moins, est lui-même le fruit de la transposition, nécessairement imparfaite, d’un modèle. En réalité, Bordeaux est sans doute la synthèse de différents modèles : Bordeaux n’est pas peu fière d’afficher en lettres de bronze la citation de V. Hugo selon lequel Bordeaux est un savant mélange de Versailles et d’Anvers ; J.-M. Offner vantant les atouts du territoire de la métropole convoque le modèle « californien » pour décrire en termes élogieux ce que beaucoup dénonceraient comme étalement urbain ; sans compter les différentes expériences urbaines qui résultent de modèles connus de développement urbain (tables rases, grands ensembles). Aussi, à moins d’exclure bon nombre des territoires qui la composent, l’agglomération bordelaise n’est-elle qu’accumulation de modèles. Ce constat n’empêche pourtant personne de disserter sur les « spécificités » bordelaises, tant louées. Il est donc également paradoxal de penser que prendre modèle aujourd’hui pourrait se traduire par la standardisation de la métropole : pourquoi la ville qui a pris modèle recèle de spécificités et la métropole qui prendrait modèle renoncerait à ces spécificités ? A l’évidence, il paraîtrait que l’on se trompe de cible. Le danger pour Bordeaux n’est pas de prendre modèle mais de ne suivre qu’un modèle hégémonique car l’identité de Bordeaux est peut-être à rechercher dans cette conjugaison, dans cette synthèse de modèle qui amène la diversité propre aux belles choses (Montesquieu, De l’esthétique du goût). Si l’on peut être créatif en ne faisant pas table rase, table rase à laquelle les Intendants n’ont pas hésité à procéder sans qu’on leur reproche aujourd’hui !, il est possible également d’être créatif en prenant modèle. Cette hantise de la standardisation révèle également l’arrogance –toute bordelaise ?- de nos élites : Bordeaux ne doit pas prendre modèle sur ces grandes métropoles standardisées, certains diront franchisées, comme si toutes les métropoles se ressemblaient quand Bordeaux ne ressemblait à aucune autre ! C’est une illusion de l’esprit de penser que tout le monde est identique, équivalent, interchangeable, non différencié… tout le monde sauf soi, bien entendu ! Bilbao, Barcelone, Vienne, Berlin, Liverpool, Turin ont autant de spécificités que Bordeaux tout en ayant réinterprété des standards métropolitains acclimatés.
La menace n’est peut-être pas là où tout le monde veut bien la voir : ne pas prendre modèle n’est-ce pas une menace plus grande que prendre modèle ? Si Bordeaux refuse de prendre modèle elle doit aussi renoncer à être elle-même un modèle. Cette démarche et cette stratégie de différentiation à tout prix, d’individualisation paraît risquée pour une ville qui a toujours aspiré à être un phare, à rayonner au-delà de son territoire proche. Est-on vraiment insensible à ces délégations qui nous viennent du monde entier pour « admirer » la requalification des quais, la technologie de l’alimentation par le sol du tramway (d’ailleurs source de royalties pour la CUB lorsqu’une autre agglomération entend suivre son modèle…) ? Sommes-nous prêts à renoncer, par pure vanité et prétention, à l’ambition d’être un modèle ? A l’évidence, la négative s’impose. Alors que l’on affiche son rejet de tout modèle en mettant en avant ses différences –et quelles différences !-, un bon nombre de projets aujourd’hui s’inscrivent dans une logique de mimétisme. Il suffit d’observer la présentation du projet de centre culturel et touristique du vin qui s’inspire ostensiblement, dans son principe de rayonnement par la culture comme dans son architecture détonante, du musée Guggenheim de Bilbao. Alors qu’il y a encore quelques années, certains laissaient entendre que les quais étaient notre Guggenheim à nous, il a semblé nécessaire à tous ou presque, à la région, à la CUB, à la Ville, qu’il était nécessaire d’imiter Bilbao. Etre ambitieux, c’est avoir vocation à servir d’exemple mais c’est aussi savoir prendre exemple. Dès lors, ceux qui veulent le plus se démarquer sont peut-être aussi ceux qui prennent le plus modèle. Cela va jusqu’à recycler le préfixe Eura d’Euralille pour former Euratlantique. N’est-ce pas aussi prendre modèle ? A moins peut-être que cela ne soit que « singer » à défaut de toute originalité. Prendre modèle, c’est la sagesse de s’appuyer sur la légitimité, sur la reconnaissance d’un succès étranger et il est heureux que la CUB entende se doter d’une Arena, d’un grand équipement culturel, ait développé ses infrastructures de transport etc., à l’image de bien d’autres métropoles. D’ailleurs, quand le modèle est à ce point commun n’y a-t-il pas une faute à ne pas prendre modèle ? Toutes ces questions, qui n’ont jamais été posées, doivent trouver une réponse dans le discours de ceux qui vantent un modèle tout à fait endogène. Enfin, l’arrogance qui est mise dans la démonstration des spécificités bordelaises et qui se traduit par des certitudes est à souligner. Chacun pourra sans doute trouver des spécificités dans tout territoire et cette recherche n’est en réalité que la lecture, l’interprétation d’un territoire. Elle est d’autant moins objective qu’elle provient d’urbanistes ou d’architectes qui sont choisis par les élus. Nécessairement les uns auront tendance à adopter la lecture du territoire des élus qu’ils auront su décrypter. La position d’un Nicolas Michelin commissaire d’Agora qui vante auprès du maire des tours de 50m aux Bassins à flot qui tranche avec celle de ce même Nicolas Michelin mais en qualité d’urbaniste en chef des Bassins à flot vantant un urbanisme bas en R+4 en moyenne est de ce point de vue éloquente ! Faut-il dès lors se convaincre de la profonde spécificité de Bordeaux à l’écoute d’architectes, au talent indéniable, qui ont su répondre aux attentes des élus ? En outre, nous ne pouvons qu’être surpris de lire à longueur de documents officiels que Bordeaux bénéficie d’une qualité de vie remarquable, d’un patrimoine et d’une université qui le sont tout autant, d’une situation géographique exceptionnelle entre océan et fleuve. Il y aurait là autant de spécificités bordelaises à développer pour ne pas ressembler aux autres métropoles. Après de rapides recherches, la métropole qui met l’accent sur sa piètre qualité de vie, son patrimoine médiocre et son tissu universitaire catastrophique ainsi que sur sa situation géographique déplorable reste introuvable ! Voici probablement la preuve que les spécificités du territoire de la future métropole sont à rechercher en dehors de ces sentiers battus.
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