Création d’une zone à faibles émissions mobilités (ZFE-M) – mise à disposition du public du projet d’arrêté 2024
Projet
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Par RĂ©my Bourdillon
2 juillet 2024 Ă 16h36
Mis Ă jour le 4 juillet 2024 Ă 09h28
La transition énergétique de l’Occident provoque une ruée vers le nickel dans les écosystèmes fragiles d’Indonésie. Parmi les principaux acteurs, une entreprise française accusée de faire disparaître un peuple autochtone.
Les batteries des véhicules électriques alimenteraient-elles un génocide dans les forêts d’Indonésie  ? L’ONG britannique Survival International, spécialisée dans les droits des peuples autochtones, sonne l’alarme à ce sujet depuis un an. Scène du crime : l’île d’Halmahera dans l’archipel des Moluques, où deux mondes sont en collision frontale.
Dans ces forêts primaires vit le peuple Hongana Manyawa dont une partie (300 à 500 individus, selon Survival) est « non contactée », c’est-à -dire qu’elle n’a aucun contact avec le reste du monde — à part quelques échanges avec les 2 500 membres sédentarisés de la tribu et des conflits avec les autres villageois.
Sous ses pieds, le sol riche en nickel a attiré la société française Eramet. Avec la compagnie chinoise Tsingshan, cette dernière a créé Weda Bay Nickel (WBN, dont Eramet est actionnaire à 39 %) dans le but de creuser la « plus grande mine de nickel au monde », nécessitant de déforester 6 000 ha. Selon l’association Canopée, 2 000 ha ont déjà été défrichés.
« Les Hongana Manyawa se considèrent partie intégrante de la forêt, et parcourent un vaste territoire afin de cueillir et chasser ce dont ils ont besoin pour vivre », explique Callum Russell, responsable de la zone Asie pour Survival. Or, l’ONG estime que 75 % de la concession d’Eramet (qui totalise 45 000 ha) chevauche ce territoire. Ce qui crée des frictions : une vidéo publiée par Survival montre deux hommes vêtus d’un pagne blanc s’approcher bâton en main des employés d’une compagnie forestière pour leur signifier leur déplaisir.
Survival International craint que la présence d’Eramet (dont l’État français est actionnaire à 27 %) prive les Hongana Manyawa des conditions nécessaires à leur survie, ou finisse par leur transmettre des maladies pour lesquelles ils n’ont pas d’immunité. Cela rendrait Eramet « au minimum coupable de travailler [à leur extermination] », a écrit dans une lettre ouverte Mark Levene, historien de l’université de Southampton, spécialisé dans l’étude des génocides.
Expropriations et culture menacée
Le géant français du nickel, qui nie toute atteinte aux droits humains, n’a pas souhaité accorder d’entretien à Reporterre mais nous a envoyé plusieurs documents expliquant sa position. L’entreprise, qui a commandé une étude à un sociologue indonésien en 2023, considère qu’il n’y a que neuf Hongana Manyawa sur sa concession et dit avoir adopté un plan pour que ses employés aient des interactions respectueuses avec ces autochtones. « C’est faux, répond Callum Russell. Il y en a des centaines, un précédent rapport commandé par Eramet en 2013 le reconnaissait. »
Reporterre a pu consulter ce rapport, rédigé par la firme CCCS, qui inventorie effectivement plusieurs groupes d’Hongana Manyawa non contactés — donc ne pouvant donner un consentement libre et éclairé à l’exploitation de leur territoire, comme le prévoient les chartes internationales sur les peuples autochtones. Mais Eramet fait une autre interprétation de ce rapport, arguant un manque de « certitudes » sur la présence de ces groupes.
Eramet déclare par ailleurs viser l’accréditation IRMA, la plus exigeante du secteur minier en termes de respect de l’environnement et des droits humains — bien que sa mauvaise gestion environnementale lui ait valu un bulletin rouge du ministère de l’Environnement en 2023. « Je ne sais pas comment ils vont y arriver », ironise le chercheur Arianto Sangadji, qui suit la ruée vers le nickel depuis des années et s’inquiète pour sa part de la « marginalisation » de tous les autochtones d’Halmahera. Entre expropriations et arrivées massives de travailleurs indonésiens et chinois, ils perdent leur culture et même leur langue (supplantée par l’indonésien), comme le relevait en janvier un rapport de Climate Rights International.
« Le nickel est un véritable carnage environnemental »
Quelques centaines de kilomètres plus à l’ouest, Sulawesi est le véritable épicentre mondial du nickel. Cette île située aux confins de quatre plaques tectoniques — ce qui lui donne sa forme si particulière — jouit d’une extraordinaire biodiversité, marquée par un nombre impressionnant d’espèces endémiques… mais peu de précautions sont prises pour la protéger face au développement à tombeau ouvert de la filière batterie.
Habituellement, l’écologue français Vincent Romera se régale en parcourant les forêts primaires de Sulawesi. Mais il revient de plus en plus souvent consterné de ses escapades : « Tel qu’il est produit actuellement, le nickel est un véritable carnage environnemental, soutient ce responsable de projets de l’association Humy. La transition énergétique de l’Occident est en train de causer un écocide majeur en Asie du Sud-Est. Et ça me met en boule que ce soit vendu comme la solution miracle sur les plateaux télé et dans les journaux. »
En juillet, il se rendra avec une équipe de scientifiques sur un lac situé au pied d’une montagne, car il pense y trouver un poisson qui n’a pas encore été décrit, une situation courante à Sulawesi. « Ce site est sous une épée de Damoclès, puisqu’il est dans une concession minière de 4 800 ha octroyée en février 2024 », regrette-t-il.
L’ONG Mighty Earth estime de manière conservatrice qu’au moins 75 000 ha de forêt (donc des puits de carbone) ont déjà été défrichés en Indonésie pour extraire du nickel. Et le rythme s’accélère : deux fois plus de surfaces ont été déforestées en 2023 qu’en 2020. Un autre demi-million d’hectares est sous concession, donc à risque de disparition. La plus grande concession, celle de la compagnie brésilienne Vale, couvre 70 000 ha à elle seule.
Comme le montrent des photos aériennes, les compagnies déforestent jusqu’au littoral, même si la loi indonésienne interdit les activités minières à moins de 100 m des côtes. Pour ce faire, elles exploitent un vide juridique : selon Mighty Earth, cette règle ne prend effet que lorsque les juridictions locales adoptent des plans d’aménagement du territoire, ce que 90 % des districts indonésiens n’ont pas encore fait. Conséquence, des boues rouges s’écoulent en grande quantité vers l’océan, empêchant les pêcheurs d’exercer leur gagne-pain et détruisant une vie marine à la valeur inestimable. « On est en plein cœur du Triangle de corail, et par endroits, il y a plus d’un mètre de sédiments sur les récifs coralliens », se désole Vincent Romera.
Niveau reforestation, bien que certaines entreprises minières (comme Eramet à Halmahera) louent leurs efforts, Arianto Sangadji constate que « peu de compagnies s’acquittent de leurs obligations. La surveillance faite par le gouvernement n’est pas assez stricte ». Vincent Romera décrit « des sols décapés sur 30 m, stériles pour des siècles » car la couche arable n’a pas été conservée pour être replacée après l’exploitation.
Du charbon et des déchets
Pour transformer le minerai, le gigantesque parc industriel de Morowali (Imip), qui emploie 80 000 personnes sur 3 000 ha, a vu le jour dans la province de Sulawesi central. Le procédé qui y est utilisé, appelé HPAL, produit de gros volumes de déchets toxiques contenant des métaux lourds, comme de l’arsenic. En 2020, une compagnie gérant les déchets de l’Imip a déposé une demande pour en décharger 25 millions de tonnes par an en mer, via un pipeline long de plusieurs kilomètres. Les déchets étaient censés tomber dans une fosse profonde de 1 000 m et y rester piégés, une stratégie risquée puisqu’elle ne tient pas compte des remontées d’eau froide qui peuvent ramener les contaminants vers les barrières de corail.
« En compagnie de villageois et d’étudiants, nous avons protesté et avons réussi à faire annuler ce projet », se félicite Moh Taufik, un responsable local de l’association écologiste Jatam. Mais le casse-tête de la gestion des déchets reste irrésolu, prévient-il : « L’Imip a sacrifié 600 ha de terres pour stocker ces déchets, mais ce n’est pas fait dans les règles de l’art. » Ce stockage « à sec » n’est pas adapté à une zone soumise à une forte saison des pluies comme Sulawesi, confirme Arianto Sangadji.
Pour faire tourner les usines, de nombreuses centrales à charbon doivent de plus être construites — à terme, leur capacité pourrait atteindre 5 GW rien que sur le site de l’Imip, soit autant que toutes les centrales au charbon du Mexique ou du Pakistan. D’après le ministère de l’Énergie, la consommation de charbon du secteur industriel indonésien a quadruplé entre 2021 et 2022. En plus d’empoisonner l’air des riverains, cela induit une déforestation supplémentaire sur l’île de Bornéo, où le charbon est extrait, et d’énormes émissions de gaz à effet de serre. « Le bilan carbone de la voiture électrique est largement sous-estimé », en conclut Vincent Romera.
Pour limiter (un peu les dégâts), l’écologue d’Humy — qui ne remet pas en question la nécessité de sortir des énergies fossiles — aimerait que l’Union européenne, grosse consommatrice de véhicules électriques, se montre proactive. « La loi EUDR a été passée l’an dernier pour interdire l’importation de produits, tels l’huile de palme ou le cacao, s’ils ont généré de la déforestation après décembre 2020, rappelle-t-il. Cela force l’Indonésie à faire respecter ses propres lois. Et si on faisait la même chose pour le nickel  ? »
L’Indonésie, pion majeur du passage à l’électrique
C’est dans les sols latéritiques d’Indonésie, typiques des climats tropicaux, que l’on trouve les plus grands gisements mondiaux de nickel. Situés près de la surface, à 10 ou 15 m de profondeur, ils ne peuvent être exploités qu’en défrichant la forêt. À lui seul, l’archipel asiatique représente 55 % de la production mondiale.
Le nickel est majoritairement employé pour faire de l’acier inoxydable, dont la production continue de croître. Mais si la demande pour ce métal explose récemment, c’est parce qu’il est utilisé dans les cathodes des batteries de voitures électriques, afin de les rendre plus puissantes.
Lassé de voir son nickel partir se faire transformer à l’étranger, le gouvernement indonésien a décrété un embargo sur les exportations de minerai brut en 2014. Depuis, des investissements chinois, coréens ou européens ont plu sur l’Indonésie, faisant pousser à toute vitesse des mégaparcs industriels où est transformé le minerai. Le but est de fournir les grands fabricants automobiles de la planète, de Volkswagen à Tesla, et ainsi suivre les objectifs de transition énergétique de l’hémisphère nord.
Eramet planifiait d’ailleurs construire une énorme usine de raffinage de nickel en coopération avec le géant allemand de la chimie BASF sur l’île d’Halmahera, mais la compagnie française a annoncé la semaine dernière renoncer à ce projet. Ceci ne remet toutefois pas en question l’exploitation de sa mine de nickel, par le biais de WBN.
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