Avis des Scientifiques en Rébellion Nouvelle-Aquitaine sur le projet « AMÉNAGEMENT DE LA ROUTE DE TOULOUSE EN FAVEUR DES MODES ACTIFS ET DES TRANSPORTS EN
COMMUN ENTRE LES BOULEVARDS ET LA RUE ALEXIS LABRO ET CRÉATION D’UNE VOIE NOUVELLE DANS LE QUARTIER DES DEUX ESTEYS À BÈGLES ».
Le projet du barreau de Mussonville, révélateur de l’impasse de la métropolisation
Nous avons pris connaissance de la concertation relative à l’aménagement de la route de Toulouse et de la création d’une voie nouvelle dans le quartier des deux Esteys nommée plus simplement par les habitants le « barreau de Mussonville », et tenons à faire part au commissaire enquêteur mais aussi et surtout aux habitants de la métropole de l’analyse que le projet de cette voie nouvelle nous inspire. Nous y voyons avant tout la continuité d’un processus d’artificialisation de notre habitat qui fait peser des menaces sur notre avenir commun. Ce que nous subissons aujourd’hui ici au sud de Bordeaux et malheureusement plus largement depuis plusieurs années sur cette métropole et dans ses environs, c’est une augmentation inexorable de la population et de l’urbanisation associée. Cette logique d’une métropole millionnaire est portée comme une obsession par la majorité des élus métropolitains sans que jamais l’extrême densification de l’habitat des communes centrales et ses conséquences sur la qualité de vie des habitants ne soient sérieusement et officiellement questionnées.
Nous nous exprimerons peu sur la partie la plus développée de la concertation qui porte sur l’aménagement de la route de Toulouse pour la rendre plus utilisable aux « modes de transport actif » (selon la terminologie en vigueur) et aux transports en commun, et espérons-le, in fine aux terriens qui y vivent. D’autres associations comme Vélo-Cité remplissent cette fonction et ont fait plusieurs propositions qui nous l’espérons, amélioreront le projet. Nous avons souhaité focaliser notre attention sur le projet du Barreau de Mussonville qui est finalement assez peu mis en relation avec le projet de réaménagement de la route de Toulouse, au point que nous pouvons nous interroger sur son réel lien avec le premier projet. Cette création de nouvelle voie porte cependant en germe des conséquences délétères à court et moyen terme qui apparaissent largement, minimisées et interroge sur les réelles motivations poursuivies par cet aménagement.
La première des questions relève de la logique de ce nouvel axe routier qui amènera d’une manière fort probable l’augmentation de la circulation automobile et son corollaire de bruit, de pollution et de destruction du reste de la vie sauvage qui s’accroche encore à cette zone urbaine. Nous pouvons d’ailleurs déplorer que cette zone de vie, pourtant caractérisée par une biodiversité remarquable pour la zone centrale de la métropole, et ses alentours ont déjà été fortement altérés par différents projets et devraient dès lors être préservés de toute nouvelle atteinte. Concernant ces destructions récentes et proches pour être plus précis et donner une perspective plus large que ce nouveau projet routier, nous pouvons citer par exemple celle emblématique de l’urbanisation du domaine de la plantation, encerclant une zone Natura 2000, la destruction toute récente du parc de Bagatelle pour un projet de pôle médical semi-privé qui dévitalise l’hôpital public Robert Picqué et s’accompagne de la construction de nouveaux logements pour tenter de rentabiliser le tout, ou même la construction du lycée Vaclav Havel et de son dit « éco-quartier » attenant. À la page 5 du document est aussi annoncé un projet très peu détaillé, mais que nous pressentions malheureusement, dans la droite ligne du projet médico-immobilier Bahia, d’une nouvelle artificialisation des terrains de Robert Picqué. Encore non détaillé, il annonce déjà, par « de nouvelles activités économiques et de logements d’étudiants » une circulation accrue sur cet axe déjà saturé et l’augmentation de la bétonisation, accroissant le phénomène d’îlots de chaleur que nous subissons de plus en plus en été. Nous ne faisons que constater, pour le moment impuissant-es face à la techno-structure métropolitaine en place, que le processus de grignotage de ces espaces indispensables au bien-être des riverains, au maintien de la nature en ville et ici en plus de zones humides déjà fortement menacées sur l’ensemble de la biosphère, se poursuit inexorablement. Nous ne sommes presque plus surpris-es de lire P6 du document, tranquillement noté, que « Le parc de Mussonville est inscrit en partie comme zone à urbaniser à long terme (AU99), tout en étant un ensemble naturel bénéficiant de prescriptions particulières au titre des continuités écologiques et paysagères ». Comme une nouvelle contradiction entre discours et actes de la part des élus il s’agirait donc à terme de protéger cette nature tout en construisant de nouveaux logements... Ce demi-aveu vient conforter l’idée que rien n’est réellement fait pour éviter la destruction des derniers espaces naturels de la métropole malgré les belles promesses de limiter l’artificialisation de nos lieux de vie et de protection de la biodiversité (concept ERC « Éviter-Réduire-Compenser » ). D’une façon encore plus remarquable, il n’est nullement pris en compte dans ce document l’impact que cette infrastructure aura sur la faune (notamment batraciens, micro-mammifères ou insectes), via les travaux et l’augmentation de la circulation induite (bruit, pollution et éclairage nocturne) alors que nous aurions pu nous attendre à une attention redoublée pour un tel ouvrage, voire à des obligations réglementaires pour menace de destruction d’espèces protégées. On notera avec quelle légèreté, le document balaie cette question en écrivant P15: « La limite du lycée est peu qualitative et offre très peu de liens entre cet équipement et le grand paysage du Delta Vert. ». Nous nous demandons face à un tel raccourci où est donc passée la réflexion concernant justement les trames vertes et bleues dont l’importance et le renforcement sont couramment rappelés dans différents documents nationaux ou locaux . Ceci nous incite de nouveau à penser qu’il s’agit le plus souvent d’affichage rapidement évacué quand ces trames deviennent incompatibles avec certains projets.
Concernant les questions de circulation d’autre part, il est extrêmement difficile de juger de la pertinence de cette opération, il semble assez surprenant de lire P6 « Néanmoins, ceux-ci [les nouveaux trafics] ne devraient être que de la desserte locale et pas un report de trafic de la route de Toulouse ». Nous apprécions ici le conditionnel qui laisse supposer à une absence d’étude précise. Une autre hypothèse suppose plutôt qu’une partie des usagers motorisés de la route de Toulouse face aux bouchons qui ne manqueront pas de se développer dans les prochaines années du fait de l’urbanisation avoisinante, se reportent sur ce nouveau tronçon. Plusieurs riverains et riveraines affectées par ce projet n’ont pas manqué de le relever, et cette hypothèse s’appuie d’ailleurs sur la constatation reportée dans le document que cette nouvelle voie est parallèle à la route de Toulouse (1ère ligne de la Page 15). Par ailleurs, il est très difficile de se faire une idée claire de ces questions de circulation si nous nous en tenons aux affirmations P6 « Les simulations de trafic présentées page précédente font état d’une amélioration des conditions de circulation à court terme sur la route de Toulouse grâce aux aménagements prévus dans le cadre du projet ». Le schéma présenté ne comporte pas de légendes, n’est pas expliqué, ne renvoie à aucun autre document consultable et la méthodologie pour l’obtenir n’est pas décrite. Nous en sommes réduit-es à croire nos experts de la circulation routière qui nous donnent surtout l’impression de suivre avec une longueur de retard l’augmentation continue des saturations du trafic autoroutier que nous connaissons depuis plusieurs années sur la métropole. Gérant dans une certaine urgence, les conséquences d’une urbanisation galopante, nous ne pouvons guère leur en vouloir.
Concernant l’aménagement de la route de Toulouse, nous sommes bien sûr tout à fait favorables à la promotion des transports publics et des autres déplacements non-motorisés sur la route de Toulouse et sur l’ensemble de la métropole ou ailleurs, mais nous nous interrogeons fortement sur les méthodes qui semblent parfois relever de l’incantation pour favoriser ce type de déplacement. En effet, ce que relève pleinement la question de l’aménagement de la route de Toulouse, c’est justement un développement anarchique et accélérée depuis quelques années d’un certain type d’urbanisation qui voit progressivement les jardins publics et privés remplacés par des ensembles résidentiels à forte densité, le développement de commerces qui confortent le modèle de circulation automobile (restauration et courses à emporter, extension de la grande distribution, disparition des services de proximité,…), ainsi que l’éloignement des lieux de vie et de travail avec l’hyper-centralisation des activités de la métropole. La route de Toulouse et ses rues attenantes restent malheureusement un long axe routier qui n’appelle pas le développement d’un cœur de ville malgré les efforts que ce projet semble vouloir déployer. La réflexion de plusieurs riverains préoccupés légitimement par leurs places de stationnement phagocytés par d’autres usagers fait écho à ce mode de développement et de circulation qu’aucune mesure efficace de ré-orientation de nos modes de vie n’infléchit réellement. C’est d’une réflexion globale sur le type de ville dont nous avons urgemment besoin en priorité, et non d’aménagement de couloirs pour bus et vélos et de plantations d’arbres qui resteront cosmétiques et trop limités face aux réels enjeux de l’aménagement de quartiers vivables pour tous et toutes, en particulier pour les populations les plus défavorisées. C’est d’un autre modèle que la concentration humaine dans les grandes métropoles qui aspirent la majeure partie des ressources économiques, ce qui reste des services publics, l’enseignement supérieur et les transports les mieux organisés que nous appelons de nos vœux afin de ne pas se retrouver dans ces impasses techniques, notamment comme ici de circulation, qui ne font que déplacer les problèmes pour un temps. Autrement dit, c’est d’une réflexion d’aménagement globale du territoire qui s’attaque aux causes et non à leurs conséquences dont nous avons besoin pour inventer un monde vivable et respirable pour tous et toutes. Et cela passe à notre avis par l’urgence de faire dégonfler la grenouille métropolitaine avant qu’elle n’éclate devant les impasses écologiques et sociales qu’elle concentre.
Au final, et en guise de conclusion, ce projet de création de nouvelle voie routière pose la question de la civilisation automobile dans laquelle nous sommes englué-es. Ce projet de nouvelle voie ne nous semble tout simplement pas connecté avec les objectifs du projet annoncés en première page de favoriser des déplacements apaisés, mais semble préparer en réalité une nouvelle phase d’expansion urbaine sur les zones restantes encore non ou peu artificialisées, comme le suggère fortement cette phrase P15 : « Elle [la nouvelle voie] s’inscrit dans le développement urbain du secteur, et plus particulièrement au sein du quartier Terre Sud et de la ZAC Route de Toulouse. ». Ce projet semble refléter le manque de vision à long terme et globale dont nous avons besoin en tant qu’habitants et ne poursuivre qu’un but, celui de maintenir la logique de remplir de projets immobiliers les derniers espaces naturels trop souvent considérés par les urbanistes et les élus comme des espaces à combler. Nous espérons que la mobilisation des riverains et des personnes sensibles à la protection de notre planète inverse enfin cette tendance destructrice et permettra de rejeter ce projet nuisible et d’autres à venir. Nous appelons plus que jamais à la mobilisation des consciences et aux actions collectives pour lutter contre le réchauffement climatique et l’effondrement en cours de la biodiversité auxquels la création de ce nouveau tronçon routier participe entièrement.
Scientifique en Rébellion – Nouvelle-Aquitaine.
Le Groupe Scientifique en Rébellion – Nouvelle-Aquitaine a été créé en réponse à l’appel de 2000 scientifiques français-es concerné-es par la catastrophe écologique et climatique en cours. Ces scientifiques appellent à sortir de des laboratoires et à rejoindre les mouvements désobéissance civile engagés pour la protection de notre planète. Ils appellent à appuyer des changements radicaux de nos modes de vie par un vaste mouvement démocratique, et ainsi à se donner de réels moyens de changer les trajectoires climatique et écologique mortifères qu’une partie de l’humanité impose à la biosphère.
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